La légende

Légende sur l’origine de la pompe aux gratons.

En l’an 1551, alors que le jeune sire Mauléon de Viziers, âgé d’à peine vingt ans, venant de recevoir de son père en héritage château et terres.

Viziers était une seigneurie important, située en plein cœur du Bourbonnais. Malheureusement, la mémoire collective n’a pas permis d’en retrouver la situation géographique, et toutes cartes et archives demeurent hypocritement muettes à ce sujet.

Mauléon était considéré comme plutôt belle homme, trapu mais bien tourné, aux muscles dessinés et bruns comme des pains, à la peau douce sans poilure, au nez assez large de ceux qui goutent avec force les odeurs, aux leurs épatées pour en aimer téter à même dame-jeanne et jacquelines les vins fruités cerise et framboise de son généreux terroir.

Or Mauléon était à marié. Il convenait de contracter une union infiniment sérieuse, avec demoiselle digne et dotée, de greffer à la lignée un solide rameau pour que se perpétue la race et que Viziers perdue.

L’artisan marieur n’était autre que Marthe, fille d’un écuyer au service du Duc de Bourbon. Elle s’employa tant et si bien qu’elle finit par dénicher l’oiselle rare, l’héritière unique d’un joli fief du côté d’Autry. Il s’agissait d’une prénommée Maud, rousse adolescente, un peu timide, un peu laide, très bouffie.

Si Mauléon s’était à l’abord amusé de la consonance complice de leur nom, en entonnant un « Maumau, Maud est là, Mauléa, Mauléon ! ». Il ravala d’un coup sec de salive rimes, jeux de mots et musique, à la seconde où lui fut présenté le portrait.

Néanmoins, autant que judicieusement, sa mère sut lui démontrer que plaisirs et écus se gagnent en des champs différents de bataille et qu’on peut consacrer vingt-quatre heures de sa journée à l’amour contre une seule par semaine, durant un nombre d’années, à l’engendrement.

Le fils conciliant ingurgita ces sages préceptes qu’il s’en fut aussitôt mettre à profit dans la couche veloutée de sa maîtresse préférée.

Et mariage il y eut.

Maud apparemment soumise, yeux baissés sur ses taches de rousseur, joues et croupe mafflues, et Mauléon philosophe, clignant de l’œil aux donzelles d’honneur, évitant de respirer aux approches des aisselles poivrées de son épousée. Il avait décidé qu’au moins pendant un mois il gambaderait de jour et qu’il consacrerait ses nuits au repos, faisant lit à part. Sa mère n’en saurait rien et sa docile jeune mariée ne pourrait qu’agréer sans se plaindre. Par la suite on verrait bien.

Il s’en tin à son programme, retrouvant la chambre conjugale lorsque Maud était endormie. Vite il soufflait la chandelle en lui tournant le dos.

Le manège dura la semaine.

À son retour du septième soir Mauléon trouva chambre vide, et sur le lit, à l’endroit où d’ordinaire reposait son épouse, il eut la surprise de découvrir une sorte de brioche, parsemée d’éphélides, embaumant l’espace d’un arome onctueux et grisant.

Était-elle sorcière sans le savoir ou pâtissière de génie, s’était-elle laissée inspirer par la rancœur ou par son amour sincère, voilà qu’elle avait recouru à la cuisine et qu’en un tournemain, sans le moindre seconde d’hésitation ou de répit, elle avait pour la première fois de sa vie confectionné cette tourte.

Blanche la pâte pour rappeler au cruel la couleur de ma peau ! Ces petits morceaux de lard grillé la criblant pour lui rappeler les grains de mon visage. Que le levain la gonfle pour qu’il lui reconnaisse

L’abondance de ma chair. Et cette goutte de mon sang pour sceller le charme, unit son esprit au mien.

Mauléon ne douta pas un instant que la pompe lui était destinée. Ravi qu’il fût par son agréable odeur il en trancha la moitié.

Hmmm ! Quel harmonieux mariage que celui de cette pâte moelleuse et de ces lardons musqués, quelle flatterie pour le palais !

Le seul défaut qu’il trouva – mais cela constituait-il un défaut ? – fut qu’elle chauchait un tantinet. Ilse fit apporter du vin de St Pourçain, dégagea son gosier et engloutit la seconde moitié.

Le lendemain Mauléon eut droit au même traitement.

Avant de franchir le seuil, il identifia le parfum de la pompe. Alla querir vin blanc sec et lorsque ses dents, sa langue, son palis se refermèrent sur la fouace exquise, il connut une jouissance sans limites.

Et les soirs suivants, la scène encore se répeta.

Mauléon en vint à adorer la pompe. Il se prenait à penser à elle à tout moment, jusque dans les bras de ses conquêtes. Alors il abrégeait l’étreinte et chevauchait à bride abattue vers le château, anxieux de retrouver l’objet de ses désirs, tel un amoureux éperdu qu’une belle, ardente, attendait.

Où dormait Maud.  Nul ne le sait. Se  cachait-elle dans la cuisine ou dans l’une des tours…Se métamorphosait-elle en chouette pour épier d’un rebord de fenêtre son frivole mari ?

Pourtant une nuit, alors qu’il enjambait bondissant l’escalier grimpant à la chambre, Mauléon fut saisi d’un pressentiment. Celui-ci se transforma en une certitude lorsque notre gentilhomme atteignit le palier. Oh malheur, le fumet tant chéri n’embaumait pas les murs ! Et tel un conjoint trahit, il bouscula la porte, se jeta sur le lit et poignarda la courtepointe de dépit.

Mauléon ne put trouver le sommeil. Lui-même ne s’expliquait pas la violence de son sentiment, il n’expliquait pas ces larmes qui à présent lui agaçaient les commissures des lèvres. Était-il ensorcelé ?

Ce matin-là, au lieu, comme à l’accoutumé, de dévaler les marches en fanfare et clairon, de déboucher en beuglant dans la cour pour ameuter secrétaires et conseiller et de vaquer  tonitruant à ses affaires, il descendit en cafard et bourdon et, trainant pantoufle, visita chaque pièce du château, espérant sans grande conviction débusquer sa femme. Vains efforts, il remonta à la chambre plus accablé que jamais et, sans s’alimenter attendit le soir, allongé sur les draps, évoquant les jours radieux, le cœur hoquetant de sanglots. Maude ne vint pas.

Le malheureux résolut de lui écrire. Fut-ce par fatigue, sous l’emprise du chagrin, il composa l’un des plus beaux sonnets d’amour que ce siècle nous a légués.

 

Vivait un châtelain…

Vivait un châtelain en terre bourbonnaise

Mauléon prénommé, à l’air harmonieux

À l’esprit fort plaisant mais tant insoucieux

Qui la vie avalait comme on gobe une fraise.

Dans ses bras vigoureux et de son œil de braise

Il allait séduisant en toute heure, tous lieux

Même quand marié, destin malicieux,

A Maud qu’il estima laide, adipeuse et niaise.

Il continua donc ses frasques alentour

Jusqu’à ce que le piège un redoutable atour.

Beaucoup mieux qu’un chasseur, bien mieux qu’une sorcière

Maud a su l’envoûter, l’assommer sans bâtons.

Reviens mon boudin roux, reviens ma pâtissière,

J’aime trop m’empiffrer de ta pompe aux gratons !

 

À l’aube, meurtri, pâle ombre de lui-même, il quitta le château, laissant comme une ultime supplique son poème au creux du traversin.

Deux nuits, trois journées complètes il erra. Lorsqu’enfin il réapparut, la lune était à son plein dans un ciel que les nuages avaient fui. Lentement il gravit les marches, ivre de douleur, de sommeil.

Étrange. Étrange odeur que celle qui l’accueillit à ka porte.

Ce n’était point cette onctueuse, douce et salée de la pompe, mais une odeur aigrelette tout aussi grisante, à la fois poivrée et fruitée.

Maud était allongée sur la couche, entièrement nue, blanche et grasse comme goret doré, sa peau luisant de cette transpiration qui commençait à étourdir le gentil Sire de Viziers.

Aussitôt le regard de Mauléon fut hypnotisé par les grains rouille qui parcouraient tout le corps, y compris, et là plus qu’ailleurs, sur le fessier proéminent, ce mont de chair, que l’adolescente exposait sans pudeur.

C’étaient autant de minuscules gratons, exhalant leur musc au sein de la brioche la plus appétissante qu’il soit donné d’imaginer.

Le jeune homme ne se retint pas. Il s’élança et sans se dévêtit se mit à mordre, à mâchouiller, à lécher, à sucer, à téter, à renifler, à pétrir. Enfin sa belle pompe, sa pompe adorée, voluptueuse, était de retour. Que jamais plus elle ne l’abandonne, que jamais, serait-ce pour un bref instant, il ne l’oublie.

De l’union de cette naquirent dit-on des triplés, une fille et deux garçons, que leurs parents par la suite appelèrent volontiers « gratonne » et « gratons », en souvenir de leur succulente histoire d’amour.

Reste que la pompe devint le met d’honneur au château, puis la spécialité des villages dépendant de la châtellerie.

Sa renommée s’étant aujourd’hui sur l’ensemble du Bourbonnais, et son aventure, semble-t-il, est loin d’être finie.

LA POMPE AUX GRATONS, C’EST MAGIQUE !

Si vous êtes un étranger au Bourbonnais, et si vous passez devant l’étal d’un charcutier ou d’un boulanger, vous verrez ces boules dorées qui ne vous diront rien. Sauf une odeur subtile qui éveillera votre intérêt. Vous regarderez alentour, puis vous continuerez votre chemin. Quel dommage ! Vous passerez alors à côté d’une félicité rare. Car la Pompe aux Gratons, c’est du bonheur en 400 grammes. Si vous êtes accompagnés de quelques amis, alors achetez une Pompe. Trouvez une bouteille de vin de Saint-Pourçain (rouge, blanc, ou rosé selon votre goût), attablez-vous, et dégustez la divine Pompe. Mangez-la lentement, appréciez les gratons qui explosent dans votre bouche, appréciez la douceur, la saveur de la pâte, et faites descendre avec une gorgée de ce vin Bourbonnais. On mange, on boit, on discute, on refait le monde (car 400 grammes, il faut le temps de tout engloutir), et quand la Pompe est finie, quand la bouteille est vide, vous aurez refait le monde qui vous  apparaîtra plus beau, plus sympathique.

L’origine de la Pompe remonte au XVIIIème siècle, quand les paysannes récupéraient les gratons après que leur mari ait tué un cochon, et qu’elles enrichissaient leur pâte à pain d’un peu de saindoux. Rien ne devait se perdre, dans ces métairies Bourbonnaises où la vie était dure. Aujourd’hui, le paysage social a bien changé, la Pompe a fait la conquête des villes. Et, si une recette de fabrication de la Pompe vous est proposée (il y en a plusieurs), pour que la dégustation soit une réussite inoubliable, il faut y adjoindre de l’amitié, de la convivialité, et accepter ce bonheur simple mais puissant généré par cette richesse gastronomique  de notre terroir. Et je vous déconseille de la manger tout seul : vous verrez, c’est bien moins bon !

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